D'une chimie naturelle à l'industrie chimique
Des milliards de molécules chimiques dont nous sommes constitués - aux produits, médicaments, carburants, que nous consommons, la chimie est présente dans tous les espaces de notre vie.
Son omniprésence se traduit par une prééminence économique, sociale, environnementale. En passant, il y a plusieurs siècles déjà, de la chimie à l'industrie chimique, nous avons vu - et voyons toujours - s'accroître nos besoins en produits issus de cette industrie.
Mais la chimie n'est pas sans effets sur l'être humain et l'environnement, et ces effets ne sont pas toujours positifs. N'évoquons que le bisphénol présent dans les biberons des nourrissons, les pesticides présents dans l'alimentation ou intoxiquant nos rivières...
Un tournant décisif au 21ème siècle
Le siècle dans lequel nous sommes entrés a heureusement vu se développer une réelle prise de conscience de cette situation ; un nouvel enseignement scientifique et une recherche appliquée se sont mis en place, clairement orientés vers le développement durable. Et donc vers une chimie durable, que l'on peut aussi qualifier de "chimie verte", encore que ce terme incite à réduire la chimie au domaine du végétal.
De la réussite de ce tournant industriel, véritable révolution, dépend la survie des 9 milliards d'êtres humains que nous serons en 2050, et pour lesquels la chimie, tout en consommant moins de matières premières doit répondre à 5 enjeux
- produire de la nourriture,
- produire des médicaments,
- produire de l'eau potable,
- produire de l'énergie,
- protéger l'environnement.
Les 12 principes fondateurs de la chimie verte
d'après "green chemistry : theory and practise" de Paul Anastas
1 - Prévenir la pollution à la source : c'est imaginer un procédé chimique qui évite la production de futurs résidus qui deviendront des déchets
2 - Economiser la matière première : l'économie d'atomes, c'est être capable, au sein d'une même matière première, de récupérer toutes les molécules utilisables pour diverses applications dans l'énergie, la cosmétique, l'agro-alimentaire. Il faut pour cela des outils de séparation très puissants.
3 - Travailler dans des conditions plus sûres : c'est envisageable grâce à l'utilisation de conditions opératoires douces (température ambiante, faible pression...) et l'utilisation préférentielle de produits peu ou pas toxiques pour l'homme et l'environnement.
4 - Concevoir des produits chimiques moins toxiques : il faut mettre au point de nouvelles molécules à la fois plus efficaces et non toxiques. L'innocuité est évaluée par des études toxicologiques à l'échelle cellulaire et au niveau de l'organisme.
5 - Utiliser des solvants non toxiques : c'est rechercher des alternatives aux solvants organiques toxiques et polluants, tels que le benzène, le chloroforme, le trichlor-éthylène, produits chimiques de sinistre réputation.
6 - Économiser l'énergie : c'est limiter les dépenses énergétiques et mettre au point de nouveaux matériaux efficaces pour le stockage de l'énergie. C'est aussi rechercher de nouvelles sources d'énergie à faible teneur en carbone pour générer de faibles émissions de gaz à effet de serre.
7 - Utiliser des ressources renouvelables : c'est préférable à l'utilisation de ressources fossiles. La biomasse, qui représente l'ensemble de la matière organique qui compose les plantes, les arbres, les déchets animaux, agricoles ou urbains, peut judicieusement servir de matière première renouvelable. Dans le même esprit, ce concept peut être étendu à l'utilisation d'énergie renouvelable.
8 - Réduire l'utilisation de molécules intermédiaires : c'est préférer (lorsque c'est possible) mettre en œuvre des réactions directes. En effet, les étapes intermédiaires consomment des produits chimiques qui vont, fatalement, devenir des déchets.
9 - Préférer les procédés catalytiques aux procédés classiques : un catalyseur est une substance rajoutée à une solution chimique et qui rend possible une réaction chimique. Il accélère la vitesse de réaction en abaissant l'énergie nécessaire à apporter pour que deux molécules réagissent entres elles. Le catalyseur sort inchangé du processus chimique, il est donc recyclable. Outre les catalyseurs chimiques, les enzymes sont des catalyseurs biochimiques rendant possibles des réactions microbiologiques utilisables en biotechnologie.
10 - Concevoir un produit chimique en vue de sa dégradation finale : un produit chimique finira irrémédiablement par devenir un déchet. Lorsque cela est possible, il vaut mieux le concevoir avec l'idée que tout ou partie du déchet qu'il va devenir peut être recyclé.
Il doit de plus, être conçu de manière à ce que sa dégradation future, naturelle ou accélérée, ne conduise pas à la création de sous-produits dangereux.
11 - Analyser en temps réel les produits chimiques et leur empreinte dans l'environnement : c'est prévenir la pollution, en contrôlant le suivi direct des réactions chimiques. Il faut être capable de détecter et de quantifier la présence d'agents chimiques et biologiques réputés toxiques, même à l'état de traces.
12 - Développer une chimie fondamentale plus sûre : c'est choisir judicieusement les matières premières chimiques pour prévenir les accidents, explosions, incendies et les émissions de composés dangereux. La forme du produit chimique est en outre importante : une molécule gazeuse diffuse plus dans l'environnement que la même molécule sous forme solide...
Pas de chimie sans utilisation de solvants
La nature du solvant dans lequel va se solubiliser un composé chimique fait partie de sa carte d'identité. Ce composé peut-être soit polaire (soluble dans l'eau) soit apolaire (soluble dans les solvants organiques).
L'eau, en tant que solvant, ne pose pas en soi de problème, en termes de rejet et d'impact.
Ce qui pose problème, ce sont sa raréfaction et notre capacité à la recycler pour la réutiliser.
Il n'en est pas de même pour les solvants organiques.
Les solvants organiques et leurs conséquences
Les solvants organiques (il en existe des milliers), appartiennent à de nombreuses familles chimiques comme les hydrocarbures (issus du pétrole ou du gaz naturel), et leurs dérivés chlorés ou fluorés, les alcools (comme l’éthanol bien connu), les esters (comme l’acétate d’éthyle obtenu par réaction de l’éthanol avec l’acide acétique), etc.
Ils sont principalement utilisés comme :
- dégraissants (nettoyage des métaux, des textiles...)
- additifs et diluants (peintures, vernis, encres, colles, pesticides...)
- décapants (élimination des peintures, vernis, colles...)
- agents d'extraction (produits alimentaires, parfums, cosmétique, médicaments...).
Après utilisation, ces solvants sont incinérés ou recyclés pour être réutilisés à plusieurs reprises.
Les solvants organiques sont généralement très volatils, et souvent inflammables. Leur toxicité est très variable, certains étant même classés comme CMR (composés cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques), alors que d’autres sont très faiblement toxiques (comme l’hexane) ou même considérés comme GRAS (en anglais : Generally Accepted As Safe) comme l’éthanol ou l’acétate d’éthyle par exemple.
Le CO2 supercritique, alternative industrielle majeure à l'utilisation de solvants organiques
Le dioxyde de carbone, sous haute pression et à température légèrement supérieure à l’ambiante, n'est ni solide, ni liquide, ni gazeux : il est fluide en phase supercritique. Il présente alors des propriétés remarquables, comme pouvoir solvant non polaire (voisin de celui de l’hexane) : Il est désormais largement utilisé comme solvant dans l'agro-alimentaire.
A noter que le CO2 supercritique est un solvant ininflammable, non toxique (GRAS) et ne laisse aucun résidu dans les produits traités. De plus, il est produit en grande quantité par l’industrie, la plupart étant actuellement rejeté faute d’utilisation. Il est donc largement disponible à haute pureté et à très bas prix.
L'eau sub- ou supercritique : des recherches très avancées
L'eau est depuis toujours très largement utilisée comme solvant, particulièrement dans l’industrie agro-alimentaire (sucreries par exemple), ou comme vapeur d’entraînement (huiles essentielles).
Mais aujourd’hui, on étudie ses utilisations possibles non pas en phase liquide ou vapeur « classiques » , mais à plus hautes pression et température : soit comme liquide subcritique - notamment pour extraire efficacement des composés à partir de végétaux - ou même comme fluide supercritique pour le traitement de déchets complexes.